Lecture 74. De Dieu. Exposé des preuves métaphysiques de son existence
Qu'entend-on par le mot de Dieu? Il a été pris dans bien des acceptions différentes, qui ont ceci de commun, de désigner un être supérieur aux êtres ordinaires. Mais une définition aussi vague ne saurait nous suffire: pour nous, Dieu, c'est l'absolu. L'absolu c'est ce qui existe en soi et par soi, en dehors de toute relation. S'il existe, c'est un être qui n'est limité par aucun autre être, qui n'est déterminé par rien d'extérieur à lui, qui se suffit pleinement et parfaitement. Se demander si Dieu existe, c'est se demander quelle raison nous avons d'admettre l'existence de l'absolu.
Bien des démonstrations ont été tentées dans ce sens. On les a quelquefois divisées en preuves a priori et a posteriori. Mais cette division est trop inégale; la presque totalité des preuves de l'existence de Dieu est a posteriori. On les a encore divisées en preuves métaphysiques ou a priori, et l'on a fait deux classes des preuves a posteriori: les preuves physiques qui empruntent leurs éléments à l'observation extérieure; et les preuves morales, qui empruntent les leurs à l'observation interne. Mais ce que cette classification nomme les preuves physiques n'ont de valeur que si elles ont une portée métaphysique; comme les preuves a priori, elles ont pour principal ressort les principes rationnels. Nous diviserons donc les preuves de l'existence de Dieu en deux classes seulement: les preuves métaphysiques et les preuves morales. La suite de cette étude nous montrera bien la nécessité de cette distinction.
Examinons donc les preuves métaphysiques de l'existence de Dieu. La définition que nous en avons donné va nous permettre d'introduire de l'ordre dans l'exposition de ces preuves. Dieu, c'est l'absolu. Les preuves de son existence devront donc montrer que le relatif ne se suffit pas à lui-même, que les phénomènes réclament pour s'expliquer autre chose qu'eux-mêmes. Mais on peut considérer le monde sous autant de points de vue distincts qu'il y a de principes rationnels. Toute preuve métaphysique aura donc pour objet de montrer que les phénomènes ne se suffisent pas à l'un de ces points de vue. Les principes rationnels les plus généralement employés à cette démonstration sont les principes de perfection ? que nous n'avons pas admis comme réellement a priori [Cf. Psychologie XX, D, pp. (..)] ? les principes de causalité et de finalité.
I. Preuves par le principe de perfection
Ces preuves sont au nombre de deux. La première, proposée pour la première fois par St. Thomas d'Aquin, se retrouve dans Descartes. Nous remarquons qu'il y a des êtres plus ou moins bons, plus ou moins parfaits. Or cela suppose qu'il y a une perfection idéale à laquelle nous mesurons tout le reste. Comment apprécier ces perfections relatives sinon en les comparant à une perfection absolue? Il y a donc en nous l'idée d'une perfection absolue. Or cette idée ne peut nous venir que d'un être parfait, de Dieu. Pour établir que la cause que cette idée est réellement un être parfait, Descartes part de ce principe que nous nous réservons d'examiner, qu'il doit toujours y avoir au moins autant de réalité dans la cause que dans l'effet.
La seconde preuve est la preuve ontologique ? St. Anselme, Descartes, Leibniz ? Voici cette preuve sous sa première forme: Dieu est tel qu'on ne peut concevoir d'être plus grand que lui; or, s'il n'existait pas, on pourrait concevoir un être qui lui serait supérieur en ce qu'il aurait de plus que lui l'existence; donc, Dieu doit exister.
A cette comparaison quantitative, Descartes substitue des comparaisons qualitatives: j'ai, dit-il, l'idée d'un être souverainement parfait: or, la première et la plus nécessaire des perfections est l'existence; donc Dieu existe.
II. Preuves par le principe de causalité
Le type de toutes les preuves de l'existence de Dieu qui auraient pour base le principe de causalité est le raisonnement aristotélicien. Tout ce qui est en mouvement est mû par quelque chose: mais ce quelque chose dans tous les moteurs que nous connaissons est lui-même mû par autre chose. Il faut donc qu'il y ait en dehors de ce que nous connaissons un premier moteur d'où vienne le mouvement, il faut trouver un terme d'où dérivent les autres, il faut s'arrêter [Greek]. Or, à quelle condition pourra-t-on s'arrêter? A cette condition que le premier moteur tire son mouvement de lui-même, en donne sans en recevoir.
C'est un argument du même genre que Clarke a proposé sous le nom de preuve a contingentia mundi. Cette preuve peut se diviser en deux moments:
Il existe quelque chose; donc quelque chose a toujours existé. En effet, si quelque chose n'avait pas toujours existé, les choses qui existent actuellement seraient sorties e nihilo, leur existence serait sans cause.
Ce quelque chose est Dieu. En effet, que peut-il être? Sera-ce la totalité infinie des êtres relatifs et changeants? Mais c'est impossible. Puisque chacun des termes de cet ensemble a une cause extérieure à lui, il en est de même de la série entière. Cet ensemble n'a donc pas de cause interne, ne s'explique pas par lui-même. Il suppose donc une cause externe. Cette cause sera éternelle comme nous l'avons établie; elle sera de plus immuable et indépendante comme n'étant pas comprise dans la série des êtres relatifs et changeants: ce sera Dieu.
Tous ces arguments peuvent se ramener à la forme suivante: Les causes que nous montre l'expérience expliquent bien leurs effets, mais ne s'expliquent pas elles-mêmes; chacune d'elles en a besoin d'une autre pour s'expliquer. Mais cette régression de cause en cause n'aura-t-elle pas de terme? Le monde serait alors inexplicable. Mais s'il est intelligible, il faut qu'on puisse s'arrêter à une première cause sans cause elle-même, c'est-à-dire, à Dieu.
III. Preuves par le principe de finalité
Il y a deux manières d'exposer cette preuve: ou bien on se place dans l'abstrait, et sans s'occuper de ce qui nous est donné dans l'expérience, on établit au nom du principe de finalité l'existence d'une fin suprême, de Dieu; ou bien on part de certains faits donnés dans l'expérience et qui semblent ne pouvoir s'expliquer que si l'on admet l'existence d'une intelligence qui ait disposé le monde en vue d'une fin.
La raison nous oblige à concevoir les séries de causes et d'effets comme convergeant vers une fin chacune. Mais pour que l'unité réclamée par l'esprit soit réalisée dans le monde, il faut que ces fins se subordonnent les unes aux autres. Nous concevons ainsi chaque fin comme un moyen par rapport à une autre fin. De régression en régression nous arrivons à une fin unique, Dieu. Il nous apparaît comme le but où va le monde, comme la fin absolue des choses.
La nature se présente à nous comme un ordre, un système de choses; l'observation prouve dans le monde l'existence d'un plan. Comment expliquer cet ordre? Evidemment il implique qu'il y a eu un dessein, et par conséquent aussi une intelligence concertant les choeurs harmonieusement en vue d'un but; cette intelligence c'est Dieu.
On peut rattacher à cette preuve celle que Leibniz fait reposer sur le principe de raison suffisante. A l'origine des choses, dit Leibniz, il y avait une infinité de mondes logiquement possibles. Qui donc a choisi entre tous ces possibles? Pourquoi un monde a-t-il été choisi dans cette foule, et l'existence a-t-elle été refusée aux autres? Ce choix implique l'existence d'une intelligence accompagnée d'une volonté, d'une personne suprême, de Dieu. Sans lui, ce choix n'a plus de raison suffisante: Dieu a choisi le monde actuel parce qu'il était le meilleur.
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