La Terre accélère... car son noyau ralentit
Si ces secondes intercalaires sont de moins en moins nécessaires, c’est que la rotation de la Terre, depuis un demi-siècle, s’accélère. Les jours raccourcissent. En utilisant la modélisation géophysique, l’auteur de l’étude publiée dans Nature dresse en réalité deux constats : le premier, c’est que cette accélération de la Terre est due… à un ralentissement de son noyau. Selon les lois de la physique en effet, « tout ce qui tourne possède un moment cinétique qui ne change pas, précise Duncan Agnew. Donc quand deux pièces tournent indépendamment l’une de l’autre mais sont reliées, si l’une ralentit, l’autre doit accélérer pour maintenir cet équilibre. »
Mais pourquoi le noyau ralentit-il ? « Personne ne sait », explique le chercheur américain. Cette masse de fer en fusion se trouve à environ 3 000 km en dessous de nous (soit la distance entre Paris et Beyrouth à vol d’oiseau) « mais elle est dissimulée sous des milliers de kilomètres de roches ». Faute d’observations directes, les chercheurs ne peuvent se fier qu’à des modèles informatiques.
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Le deuxième constat que fait Duncan Agnew, c’est que la fonte accrue des glaces au Groenland et en Antarctique tend a contrario à freiner l’accélération de la Terre, puisque « lorsque la glace fond, l’eau se répand sur l’ensemble de l’océan, ce qui augmente le moment d’inertie et ralentit la Terre ». L’auteur compare cet effet à celui d’une patineuse qui tourne avec les bras au-dessus de la tête : si elle les abaisse, sa rotation est plus lente.
En conjuguant ces deux tendances, et en les associant à d’autres « phénomènes pertinents », le géophysicien conclut que la Terre tourne donc plus vite qu’avant, même si cet effet est atténué par la fonte des glaces. Et les jours rétrécissent tellement que, pour la première fois, il va sans doute falloir non pas ajouter une seconde mais en retirer une ! Ce bouleversement aurait dû intervenir dès 2026, ajoute-t-il : mais comme le réchauffement climatique ralentit l’accélération de la Terre, l’échéance est potentiellement reportée à 2029. Quoi qu’il en soit, la dernière minute du dernier jour de l’année aurait donc 59 secondes au lieu de 60.
Problèmes «sans précédent»
Tout cela n’est pas gravé dans le marbre, rappelle Duncan Agnew, puisqu’on ne peut prévoir ce que fera le noyau ; il faut néanmoins « se préparer à introduire cette correction inédite dans les différents réseaux informatiques », sachant que « peu voire aucun système ne dispose d’un logiciel capable de supprimer une seconde ». « On ne l’a jamais fait, cela produirait beaucoup de confusion », anticipe Christian Bizouard, à qui reviendra de prendre « l’ingrate décision ». Patrizia Tavella entrevoit également des problèmes « sans précédent ».
L’astronome français note toutefois que « l’étude extrapole de façon un peu osée des phénomènes sur lesquels on a très peu de recul : rien ne nous dit que le noyau va continuer de ralentir » et qu’une seconde en moins sera nécessaire. Il rappelle en outre qu’après plus de vingt ans de discussions, les métrologues du monde entier se sont mis d’accord pour mettre fin à ce système de secondes intercalaires en augmentant la tolérance entre l’UTC et le temps de rotation de la Terre (la navigation céleste n’étant plus vraiment la norme).
Cette décision censée être appliquée avant 2035 « repousserait d’au moins un siècle la nécessité de procéder à un ajustement », selon Patrizia Tavella… La mise en œuvre rapide de cette décision pourrait notamment éviter le problème de cette seconde à retirer. Pour Christian Bizouard, il est grand temps d’en finir avec « ce système complètement artificiel de réajustement de l’UTC sur le temps de rotation de la Terre, qui est devenu caduc ».
La rédaction vous cons