Si la loi devait changer
L'allongement de la durée de l'existence et les progrès de la médecine, notamment, confrontent à des situations de fin de vie inédites et complexes, toutes singulières. Au moment d'envisager une modification législative sur la fin de vie et l'introduction éventuelle d'une "aide à mourir", la plus grande attention doit être portée à trois paramètres en particulier.
Le complexe de vivre
"Quel message enverrait une évolution législative dans ce sens aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées?" C'est la question posée par les huit membres du Comité consultatif national d'éthique qui ont tenu à porter une réserve dans l'avis publié le 13 septembre: "Ne risque-t-elle pas d'être perçue comme le signe que certaines vies ne méritent pas d'être vécues? Nous nous inquiétons que cette loi suscite une forme de culpabilité, voire un complexe de vivre chez des personnes souffrant déjà d'une exclusion sociale."
L'intention
Sur le plan éthique, il existe une différence essentielle entre, d'une part, le fait d'administrer un traitement visant à soulager la souffrance, en sachant qu'il peut provoquer la mort, mais sans intention de la donner, et, d'autre part, administrer un traitement visant à provoquer le décès, afin de mettre fin à des souffrances. Dans le premier cas, l'intention n'est pas de donner la mort, celle-ci étant un effet indirect du traitement. C'est le cas de la sédation profonde et continue jusqu'au décès autorisée par la loi Leonetti-Claeys de 2016, qui encadre aujourd'hui la fin de vie dans notre pays.
L'acte
Par quels gestes l'aide à mourir se traduit-elle? Qui effectue l'acte? Cela distingue dans les gestes l'assistance au suicide de l'euthanasie. "Dans le premier cas, c'est la personne en fin de vie qui s'administre un produit létal… ou pas", souligne Régis Aubry, chef du service des soins palliatifs au CHU de Besançon, président de l'Observatoire national de la fin de vie et corapporteur du dernier avis du Comité consultatif national d'éthique . L'euthanasie suppose l'intervention d'un tiers (médecin, infirmier).
Ce qui se pratique à l'étranger
Détailler les pratiques ne vise en aucun cas à les banaliser, mais à prendre la mesure de ce que vivent les personnes en fin de vie, leurs proches et les soignants dans les pays ayant dépénalisé ou légalisé l'aide à mourir.
L'aide médicale à mourir
Il s'agit de l'administration délibérée de substances létales (par injection, souvent) dans l'intention de provoquer la mort, pour mettre fin aux souffrances d'une personne qui désire mourir, ou, en l'absence de son consentement, sur décision de tiers (corps médical, proches).
On parle aussi d'euthanasie active.
Euthanasie
Faire mourir ou laisser mourir… selon les pays, leurs contextes socio-culturels et leurs législations, le terme désigne une pratique plus ou moins restreinte et des distinctions sont faites entre euthanasie active et passive.
Euthanasie active (lire "aide active à mourir")
En Belgique, premier pays à avoir dépénalisé l'euthanasie, en 2002, un médecin peut, à certaines conditions, injecter directement au malade un produit létal dans l'intention de provoquer sa mort – ce que l'on appelle l'euthanasie active. Mais rares sont les États qui l'autorisent aujourd'hui. Chez nos voisins belges, la procédure peut être effectuée à domicile ou à l'hôpital et le professionnel de santé engage sa responsabilité. Il doit s'être assuré que le patient est atteint d'une maladie incurable qui provoque une souffrance physique et psychologique "insupportable, constante, qui ne peut être apaisée" et qu'il n'a subi aucune pression extérieure.
En France, aujourd'hui, l'acte d'administrer un traitement avec intention de donner la mort dans le but d'abréger les souffrances d'une personne est considéré comme un homicide et réprimée sur la base de l'article 221-1 du Code pénal (disposition sur le meurtre).
Euthanasie passive
L'expression désigne le refus ou l'arrêt de traitement nécessaire au maintien en vie. Dans les cas où le patient, ses proches ou le corps médical en ont pris la décision, les soignants s'abstiennent de prodiguer des soins (une réanimation cardiaque par exemple) ou de continuer un traitement (comme une intubation) de nature à sauver ou prolonger sa vie.
L'arrêt des traitements est ainsi admis dans l'Oregon (USA), dans la mesure où la volonté du patient peut être établie sans aucune ambiguïté.
Suicide assisté
La personne cause elle-même sa mort: c'est elle, et non une tierce personne, qui s'auto-administre le produit létal – en général en ingérant un médicament – et elle le fait en connaissance de cause, guidée par un tiers qui lui aura fourni les renseignements et/ou les moyens nécessaires.
Le recul fourni par les pays où l'assistance au suicide est dépénalisée – l'État de l'Oregon aux États-Unis notamment pour lequel on dispose de recherches – ne met pas de dérive en évidence. Il semble que le fait de disposer du produit létal procure un soulagement psychologique et que le passage à l'acte se trouve différé. Depuis 1997, 2895 habitants de l'Oregon ont reçu une prescription pour une substance létale et 1905 sont mortes de son ingestion, soit 66%.
Ce que dit l'Église catholique
"Tuer n'est pas humain, point."
C'est ce qu'a répondu le pape François à la question d'un journaliste sur l'euthanasie, le 15 septembre dernier: "Si vous tuez avec des motivations, vous finirez par tuer de plus en plus", a-t-il ajouté.
"Ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie"
La position de l'Église catholique quand la mort est inéluctable est développée dans la lettre Samaritanus bonus sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie, publiée en 2020. L 'euthanasie y est décrite comme un "crime contre la vie humaine" et le suicide assisté comme un "grave péché". La congrégation pour la Doctrine de la foi y condamne les traitements médicaux qui précipitent le décès, et aussi ceux qui le retardent: "ils privent la mort de sa dignité". "Le renoncement à des moyens extraordinaires et/ou disproportionnés n'est pas l'équivalent du suicide ou de l'euthanasie", écrit-elle, citant Jean-Paul II: "il exprime plutôt l'acceptation de la condition humaine face à la mort."
"Une aide authentique à vivre"
À l'écoute des interrogations de la société, des souffrances des personnes en fin de vie et de la détresse de leurs proches, la Conférence des évêques de France réaffirme le caractère inviolable et inaliénable de la dignité humaine et invite à écouter et accompagner les attentes profondes des personnes en fin de vie, en particulier les plus vulnérables.