Covid-19 : «L'immense majorité» des personnes hospitalisées sont-elles non vaccinées ?
Par Cécile Thibert et Wladimir Garcin-Berson
Publié le 17/11/2021 à 17:18, mis à jour il y a 2 heures
«Dans tous les services de soins critiques, l'immense majorité des personnes hospitalisées avec des formes graves de la Covid ne sont pas vaccinées ou n'ont pas de couverture vaccinale complète», a assuré le premier ministre.
«Dans tous les services de soins critiques, l'immense majorité des personnes hospitalisées avec des formes graves de la Covid ne sont pas vaccinées ou n'ont pas de couverture vaccinale complète», a assuré le premier ministre. AFP / STEPHANE DE SAKUTIN
LA VÉRIFICATION - «Il n'y a pas photo sur la nature des hospitalisations et des formes graves : ce sont des personnes non vaccinées», a assuré Jean Castex lundi soir. À raison ?
LA QUESTION. Le gouvernement l'assume : les nouvelles mesures présentées ce lundi, dont la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal, visent à «faire peser la contrainte sur les non-vaccinés». Et pour cause : ces quelque 5,3 millions de personnes sont plus nombreuses dans les établissements de santé, après avoir contracté des formes graves du Covid-19, selon Jean Castex. «Dans tous les services de soins critiques, l'immense majorité des personnes hospitalisées avec des formes graves de la Covid ne sont pas vaccinées ou n'ont pas de couverture vaccinale complète», a assuré le premier ministre, lundi soir, lors d'une conférence de presse.
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«Il n'y a pas photo sur la nature des hospitalisations et des formes graves : ce sont des personnes non vaccinées ou des malades vaccinés mais atteints de comorbidités graves», a-t-il ajouté. En déplacement dans un centre hospitalier francilien, mardi matin, le chef de la majorité a repris cet argumentaire, expliquant que les patients «hospitalisés pour raisons de Covid [étaient] dans leur immense majorité» non vaccinés.
Ces déclarations de Jean Castex peuvent surprendre : mi-novembre, un cap symbolique avait été franchi, avec, désormais, plus de personnes vaccinées admises chaque jour en réanimation pour une forme grave de Covid que de non-vaccinés. Certains «antivax» y voient d'ailleurs la preuve que les vaccins ne fonctionnent pas. Qui a donc raison ? Aurions-nous été floués, comme l'entendent les sceptiques ? Ou est-il en réalité normal qu'il y ait désormais davantage de vaccinés que de non-vacciné à l'hôpital ?
VÉRIFIONS. Que les rationalistes se rassurent : ce n'est pas le cas. Revenons d'abord sur les chiffres, qui sont fournis par la Drees. Dans son dernier rapport, daté du 24 décembre, le service statistique rattaché au ministère des Solidarités et de la Santé exploitait des appariements entre les différentes bases de données pour observer les admissions à l'hôpital des personnes positives au Covid-19 pour la population de 20 ans et plus.
D'abord, statistiquement, les personnes non-vaccinées représentaient, entre le 15 novembre et le 12 décembre, 24% des personnes testées positives et déclarant des symptômes, 42% des personnes admises en hospitalisation conventionnelle et 54% des entrées en soins critiques. Sur ce point, Jean Castex semble avoir, de prime abord, à la fois raison et tort : les non vaccinés sont plus présents en soins critiques, mais moins dans les hospitalisations.
Cependant, il faut aussi garder en tête que les personnes non vaccinées ne représentaient, à cette période, que «9% de la population âgée de 20 ans et plus» : elles restent donc «nettement surreprésentées, par rapport à leur part dans la population générale», note la Drees.
La population vaccinée représentant, parallèlement, quelque 91% des individus âgés de 20 ans et plus, il est mathématiquement normal que sa part parmi les hospitalisations et admissions en soins critiques soit importante : son poids est néanmoins réduit par le vaccin, qui protège, sans être pour autant un bouclier invulnérable et impénétrable. Dans une population majoritairement vaccinée, où le vaccin n'empêche pas à 100% les formes graves (mais autour de 90% environ), il était attendu que la part des personnes vaccinées hospitalisées serait plus importante que celle des non vaccinées. D'ailleurs, si 100% de la population était vaccinée, alors 100% des malades hospitalisés seraient vaccinés !
Pour clarifier la situation, la Drees propose de comparer les «événements liés au Covid-19» - test positif, décès, hospitalisations et admissions en soins critiques - à taille de population comparable, pour un million de personnes dans chaque catégorie. Le constat est alors clair : pour un million d'habitants non-vaccinés, le nombre d'hospitalisations conventionnelles et d'admissions en soins critiques est beaucoup plus élevé que pour un million d'habitants vaccinés.
Lecture : entre le 15 novembre et le 12 décembre 2021, pour un million d'habitants non vaccinés, plus de 1000 hospitalisations conventionnelles ont été dénombrées, et un peu moins de 1000 admissions en soins critiques. Capture d'écran Drees
Ce constat était déjà vrai il y a quelques semaines, comme nous l'écrivions alors : à taille de population comparable, il y avait «9 fois plus d'entrées en soins critiques parmi les personnes non vaccinées que parmi celles qui sont complètement vaccinées», soulignait la Drees. Sur 1 million de personnes non-vaccinées, 29 étaient admises en soins critiques, contre 3 seulement sur 1 million de vaccinés.
Une petite subtilité d'importance : les données de la Drees, qui donnent des indications sur les admissions en soins critiques et hospitalisations, ne permettent pas de connaître le nombre exact de personnes occupant des lits selon leur statut vaccinal, à l'instant T. Si le flux est connu via le service statistique, le stock ne l'est pas, en d'autres termes. Mais les témoignages de soignants et de responsables d'établissements de santé soulignent régulièrement que les personnes non vaccinées sont majoritaires dans les services.
Difficile de dire, donc, si actuellement «l'immense majorité des personnes hospitalisées avec des formes graves de la Covid ne sont pas vaccinées ou n'ont pas de couverture vaccinale complète», comme l'indique Jean Castex, puisqu'il évoque un stock alors que l'on dispose de données sur les flux. Mais, sur celles-ci qui mesurent les admissions quotidiennes, le constat est clair : le premier ministre a tort en parlant d'«immense majorité».
Autre précision, il est impossible de vérifier si les malades vaccinés hospitalisés ou admis en soins critiques sont «atteints de comorbidités graves», comme le dit Jean Castex. Les données manquent en effet sur ce point. La Drees soulignait cependant récemment que «la présence de comorbidité, indépendamment du statut vaccinal, est associée à un risque plus important avec un hasard ratio de 1,8 pour une hospitalisation [et] 1,9 pour une hospitalisation avec passage en soins critiques».
Surreprésentation des non-vaccinés
Preuve supplémentaire de l'efficacité vaccinale s'il en fallait, un récent rapport de Santé publique France a montré que les décès et les hospitalisations ont drastiquement diminué dans toutes les tranches d'âge, en particulier chez les plus vulnérables, et ce dès la troisième vague épidémique (mars à mai 2021) alors que le taux de couverture vaccinale n'était pas encore optimal. Et, dans un document publié la semaine dernière, la Drees soulignait qu'entre le 1er février et le 31 mai, parmi les personnes de 50 ans et plus ayant eu une forme symptomatique du Covid-19, le risque d'hospitalisation pour une personne ayant un cycle vaccinal complet était 0,67 fois celui d'une personne non vaccinée, et son risque d'admission en soins critiques était 0,40 fois celui d'une personne non vaccinée.
La Drees précise néanmoins que le constat évolue également avec le temps. En l'occurrence, une personne ayant complété son schéma vaccinal il y a plusieurs mois sera moins protégée qu'une ayant reçu un rappel récemment : «les personnes vaccinées avec un schéma complet depuis plus de 6 mois (sans rappel) sont plus concernées par ces tests positifs ou hospitalisations avec Covid-19 (à taille de population comparable) que celles vaccinées plus récemment», note le service statistique. La protection contre les hospitalisations et décès baisse légèrement, après six mois de vaccination complète, «autour de 80% et 90%», contre 90 à 95% juste après l'injection.
Le vaccin n'engendre pas une protection inviolable
En outre, le fait qu'un peu plus de la moitié des malades hospitalisés aient été vaccinés doit nous interpeller. Si cela ne remet aucunement en cause l'efficacité de la vaccination, cela nous rappelle que les vaccins ne sont qu'une arme parmi d'autres pour lutter contre l'épidémie. Il s'agit certes du meilleur bouclier dont nous disposons, mais celui-ci n'est pas parfait. Et même avec une population en grande majorité vaccinée, le risque de voir la vague d'hospitalisations continuer de monter est bien réel. Et ce d'autant plus que l'efficacité du vaccin baisse au cours du temps.
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La partie n'est pas perdue d'avance pour autant. Car il nous reste d'autres armes pour empêcher le virus de circuler librement. Cela commence par un strict respect des gestes barrières, même vaccinés : port du masque, aération des lieux clos, etc. La campagne de rappel vaccinal devrait elle aussi porter ses fruits, la dose supplémentaire redonnant un coup de fouet à la protection des individus face à l'infection et surtout aux risques de faire des formes graves. Si chacun joue le jeu, nous avons donc toutes les cartes en mains pour réussir à éviter une nouvelle saturation des hôpitaux cet hiver sans avoir recours à d'autres mesures de restriction de nos libertés.
En résumé, en proportion, les personnes non vaccinées sont moins nombreuses parmi les hospitalisations, mais plus nombreuses parmi les admissions en soins critiques. À population comparable en revanche, pour un million de personnes, les individus non vaccinés se révèlent bien plus susceptibles d'être hospitalisés ou de finir en réanimation par rapport à leurs semblables vaccinés. Reste que le vaccin ne suffit pas pour lutter contre la maladie et protéger totalement la population : les autres outils doivent aussi être mobilisés.
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