D’ici un ou deux mois, un nouveau club de jazz ouvrira à Chamonix. Plus que ça, la Tournette accueillera aussi des artistes en résidence toute l’année, grâce à un musicien qu’on ne présente plus : André Manoukian
Quand André Manoukian évoque Chamonix, il en parle comme d’une femme avec qui la passion ne s’éteindra jamais. Loin des plateaux télé de Nouvelle Star, qu’il enregistre en ce moment pour D8, et des studios de France Inter où il anime “Partons en live” tous les vendredis soirs, Dédé a d’abord posé ses valises, puis ses cartons, dans la capitale mondiale de l’alpinisme, il y a quelques années. Il y vit aujourd’hui à plein temps, faisant régulièrement les trajets vers Paris en train, où de temps en temps, un contrôleur ou une passagère qui rêve de percer dans la musique vient enchanter (ou plomber) son voyage. Mais en quittant la capitale, Dédé s’éloignait aussi du poumon culturel du pays, de ses possibilités de rencontres, de projets. Autant essayer de faire vivre un poisson sans eau. “Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi”, se plaît-il à citer. C’est donc lui qui allait faire venir la musique à Chamonix.
Ça commençait par le Cosmojazz, à l’été 2010. Un “dédéfi” osé que celui de faire venir les nouveaux artistes du jazz, une musique réputée à tort confidentielle, pour les faire jouer aux pieds des montagnes sacrées des Chamoniards. Mais vallée encaissée n’est pas toujours synonyme de vallée fermée: «Chamonix est très ouvert sur le monde, il y a une grande communauté anglophone et les montagnards parcourent le globe à la recherche de nouveaux sommets», insiste André Manoukian. D’ailleurs, la mayonnaise a si bien pris que quatre ans plus tard, les voisins suisses réclamaient leur part du gâteau et que deux concerts étaient organisés dans le Valais. Et à chaque fois, qu’il pleuve ou qu’il neige, l’événement attire les foules, qui y découvrent des artistes hors des sentiers habituels de la promotion, eux-mêmes séduits par le cadre dans lequel ils se produisent. Jouer son répertoire au-dessus de la Mer de glace ou face au mont Blanc n’est pas donné à tout le monde…
«Le Cosmojazz aujourd’hui est devenu un vrai label musical. Ce jazz qui tend à s’ouvrir aux musiques du monde, même si je n’aime pas ce terme trop connoté années 80, est un marqueur d’optimisme. Comme en géopolitique, le centre du monde est en train de se décaler vers l’Orient. C’est là aujourd’hui que se fait la création», soutient Dédé. Et c’est donc là qu’il trouve ses pépites.
L’ancienne maison de Maurice Herzog transformée en studio
Pour accueillir ces artistes un peu plus d’une semaine par an à Chamonix, André Manoukian a eu une idée : créer une maison des artistes. «J’y réfléchissais depuis un moment», glisse-t-il avec un sourire. Restait à trouver un lieu. Ce sera la Tournette, qui doit son nom à son architecture toute ronde, dominée par un toit pointu. Une maison de conte de fée, en fait l’un des piliers du patrimoine chamoniard : elle fut la résidence du célèbre alpiniste Maurice Herzog, aussi maire de Chamonix de 1968 à 1977. Au grenier, on trouve encore ses livres, sous une fine couche de poussière. L’insolite bâtisse croupissait depuis plusieurs années au fond d’un parc qui ressemblait plus à une friche qu’au décor du “Déjeuner sur l’herbe”. De gros travaux entrepris par la commune ont heureusement permis de lui redonner sa splendeur d’antan. Quant au parc, il n’usurpe plus son nom, grâce à un récent débroussaillage.
Erik Truffaz lui a déjà dit oui
Tout semble donc réuni pour faire de cette maison des artistes une réussite dès son ouverture en février ou mars. Au sous-sol, un studio équipé du matériel d’enregistrement high-tech prendra bientôt place. Dans les étages, les artistes en résidence seront logés dans les nombreuses chambres. Et le rez-de-chaussée deviendra «un club de jazz qui ouvrira en fin d’après-midi, après le ski». Le décor du fond de scène a vite été trouvé : ce sera le mont Blanc. Loin de la clientèle élitiste qu’attire généralement ce genre d’endroit, Dédé veut faire de cette maison un lieu accessible au grand public. Et une fois encore, si les Chamoniards ne viennent pas à la musique, c’est elle qui ira à eux : «Je voudrais que les groupes sortent sur la terrasse pour jouer en plein air, les Chamoniards auront alors l’opportunité d’écouter des musiciens qui répètent, exactement dans l’esprit des bœufs du Cosmojazz. Et nombreux sont les artistes qui jouent bien mieux face à un public. Al Jarreau était comme ça : quand il enregistrait, il faisait venir une trentaine de personnes dans le studio».
Si les fidèles du Cosmojazz comme le trompettiste Erik Truffaz ont déjà fait savoir à Dédé qu’ils viendraient peupler cette maison, il entend aussi y faire venir des talents moins connus mais en plein essor. «Je veux amener les musiciens du jazz à Chamonix, pour qu’il se passe ici la même chose qui s’est produite pour moi». À savoir ? «Quand je louais un chalet à Cham’ pendant les deux mois d’été, j’y installais mon matériel et je faisais venir les musiciens avec lesquels je bossais. Et j’ai bien vu ce qui se passait : quand vous bossez sur du répertoire, c’est morbide comme pour un écrivain qui fait un bouquin, il est dans la mort. Il n’est pas dans le corps, il est dans l’esprit. À Chamonix, il suffit de sortir cinq minutes dehors pour se prendre le paysage en pleine face. Et là, on est obligé de sortir de sa tête». Philosophe, le musicien !
Mécène sans se l’avouer, André Manoukian jure qu’il «ne sait pas pourquoi» il s’éclate à mettre le pied à l’étrier à de jeunes artistes, une envie qu’il assouvit aussi dans Nouvelle Star, la mise en scène à deux sous en plus. «Je ne suis pas sûr que ce soit par altruisme. En fait, je crois que je veux être à la source des nouveaux sons, c’est très inspirant pour moi». Et pour les Chamoniards, qui ont bien de la chance que le regard de Dédé se soit un jour posé sur leurs montagnes.