SOAN
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Sophie avait trente-quatre ans. Derrière le comptoir de La Liberté, rue du Faubourg-Saint-Antoine, elle était une figure amicale, exigeante, complice. Artistes, marginaux et esprits libres du quartier la connaissaient bien et Cédric Klapisch l’avait fait apparaître, regard vif et cheveu dru, dans Les Poupées russes. Quand Soan finissait un texte de chanson, il allait voir Sophie : « Je descendais avec ma feuille de papier et elle arrêtait ce qu’elle faisait pour m’écouter, même s’il y avait des clients. Si elle pleurait, je savais que c'était bon. Sinon, je retournais bosser. »
Un jour, en débouchant une bouteille de vin, Sophie s’est effondrée. Rupture d’anévrisme. « J’en veux au médecin qui a dit qu’elle allait s’en tirer. » Sophie s’est finalement éteinte quelques jours plus tard. « Elle était quelqu’un de nécessaire à ma vie. Depuis, je suis un peu comme un pneu crevé. »
Soan aurait dû entrer en studio ce printemps pour participer à la grande ruée des disques de la rentrée. Mais, à la mort de son amie, il a ressenti une féroce urgence et Sous les yeux de Sophie est un album dont le titre est d’une absolue sincérité : « La seule ligne directrice était de choisir les chansons qu’elle aimait ou celles dont je suis sûr qu’elle les aurait aimées. Et aussi deux ou trois qu’elle n’aimait pas – c’était comme ça, entre nous… »
Le premier album de Soan s’était enregistré en trois semaines, « à la punk ». Celui-ci s’est construit plus lentement, « comme un cachet quand on a mal à tête ». Dans les affres du deuil et dans la liberté du partage entre musiciens, Soan reconnaît qu’il a souvent pleuré entre les prises mais qu’il a aussi trouvé des nuances nouvelles dans l’interprétation. « Avant, je me disais qu’il fallait crier toujours plus fort. Là, j’y ai mis plus de finesse, j’ai cherché plus de choses en chantant. J’étais si mal qu’il valait mieux chercher à ne pas s’endormir… »
Les quatorze chansons de Sous les yeux de Sophie sont unies par leur absence de romanesque. « Il s’agit de descriptions d’état. Elles ne sont pas réalistes, je ne les comprends pas encore toutes, elles ne racontent pas d’histoire, sauf peut-être Pas peur du ciel. En écrivant, je voulais mélanger des comètes, comme faire une chanson sur un concept à la Jim Morrison et une mélodie à la Adamo. » Les grands maîtres du passé ? « Ils comptent, bien sûr. Je ne me dis pas tous les jours « qu’est-ce qu’aurait fait Brel à ma place ? », mais j’essaie de ne pas leur faire honte. »
Soan est bien là, dans cette manière singulière d’être extrêmement rock et profondément enraciné, furieusement rebelle et vraiment populaire. L’ancien vainqueur de « La Nouvelle Star » est fidèle à sa révolte avec des chansons qui décrivent des chemins à l’écart des chemins battus ou en chantant avec Christian Olivier des Têtes Raides sur S’il y a du monde, qui ouvre l’album. Mais il retrouve instinctivement des valeurs mélodiques d’une évidence et d’un classicisme hors du temps et de toute limite de genre, comme dans Pour de bon, Les z’Anges ou Une heure de plus. Ce n’est pas seulement un symbole si Jean Corti, qui fut accordéoniste de Brel avant d’être compagnon de route des Têtes Raides, vient jouer avec lui sur Pour de bon, ou si A tire-d’aile, outre le featuring de Melismell, contient la voix de Jean Gabin dans Un singe en hiver…. Soan diffracte l’espace et le temps comme il fait fondre les frontières entre sentiments : Sous les yeux de Sophie est peuplé de perdants magnifiques, d’adieux joyeux, de félicités déchirantes, de noces ricanantes entre la vie et la mort.
Et si l’album nous raconte Sophie, il est aussi l’étonnant portrait d’un artiste en folle liberté qui mêle chansons neuves et vieilles compagnes de route, humeurs éthyliques et vents d’azur, fraternité de la nuit et sérénités de l’aube. Avant d’être Soan, il avait été pompier, routard, ouvrier, dealer, aventurier de comptoir et aspirant-chanteur – des vies dont les échos se mêlent tout au long de l’album.
Depuis le succès de Tant pis, son premier album, et de la tournée qui a suivi, il a construit une famille musicale qui l’a aidé à façonner son album. Frederik Rubens a écrit une bonne partie des arrangements, et assuré production et mix avec Laurent Jaïs. Ensemble, ils vont bientôt repartir sur les routes. Soan y met l’humilité, les doutes et la volonté du fildefériste – oui, son art est toujours au bord du précipice. Il n’a pas dompté tous ses démons et il sait que les apprivoiser n’est jamais une victoire définitive. « Chaque fois que je finis une chanson, je me dis que c’est mon dernier coup de bol », dit-il avec son drôle de sourire.
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