Je crée ce nouveau topic pour mettre les CR de ceux qui ont écoutés l'album.
Post de mira sur org.
Autant il était connu de tous que le deuxième album de Nolwenn porterait une forte empreinte Voulzienne, autant la précision dont il fait preuve restait du domaine de l'imagination. Beaucoup ont fantasmé sur ce deuxième opus ; certains l'ont trouvé trop long à arriver. Certaines mauvaises langues ont même subodoré qu'il n'arriverait jamais. Mais il est là, et sa qualité fera taire tous ceux qui ont trop parlé pendant sa période de construction. "Histoires Naturelles" est un bijou musical, un ovni dans le paysage musical français qui tombe de plus en plus dans un désolant conformisme.
Il y a plusieurs raisons à cela. Déjà, aux commandes, un certain Laurent Voulzy qui a fait les belles heures de la chanson française, un ovni également qui étonne par sa rareté et son perfectionnisme. Des mélodies reconnaissables entre tous, un timbre de voix tendre et enfantin - bref, une marque de fabrique parfaitement rodée. Son alter ego, Alain Souchon, participe également à la fête (responsable de la dernière chanson, "J'aimais tant l'aimer") - on commence à entrevoir une famille autour de la jeune chanteuse qu'est Nolwenn, encore apprentie dans le monde si difficile de la musique. On entrevoit également l'enchanteur Julien Voulzy, trop rare à mon goût (sur "Endormie"), Kent ("L'enfant cerf-volant") ... bref, des gens rares, exquis, difficiles, élitistes dans le bon sens du terme, qui sortent rarement de leur cachette, et uniquement pour s'aider entre eux. L'histoire qui raconte comment ils ont choisi d'adopter Nolwenn est bien une histoire naturelle.
Il était difficile d'imaginer que cet album puisse ne pas être le bébé tant attendu, mais il peut se passer tellement de choses dans un studio d'enregistrement que toute spéculation pouvait se retrouver véridique à un moment choisi. Or, "Histoires Naturelles" fait preuve d'une alchimie proche de la perfection qui donne des frissons. La première écoute se doit d'être complète et linéaire : on se rend compte alors que c'est un album-concept, tout comme son image, et les chansons se fondent les unes dans les autres avec une cohérence déstabilisante. Il n'y a, encore une fois, rien de plus naturel que cet enchaînement. Il nous semble écouter l'histoire de la réalisation de l'album, de la rencontre entre Nolwenn et sa nouvelle famille, de son émancipation musicale et personnelle. Et nous ne pouvons qu'assister, béats, à cette transformation incroyable qui se produit juste sous nos tympans.
Deux éléments dominent cet album : l'eau et l'air. La musique est aérienne, extra-terrestre, flottante et changeante. On ferme les yeux et on change de planète. La voix ressemble à une averse sur un toit de mezzanine, au doux bruit des vagues s'échouant sur une plage de l'île d'Ouessant un jour d'été. Ces deux éléments, mouvants et fluides par excellence, se regroupent d'une façon magique et spectaculaire dans l'instrumental "Les chimères". On rejoint alors l'univers déjà entr'aperçu dans le concept "Suivre une étoile", initié par Voulzy ; à mi-chemin conte futuriste, à mi-chemin féerie celtique, ce morceau est un pont reliant une Nolwenn combative et assumée dans la première partie de l'album, et une autre rêveuse et amoureuse - le magnifique et doucereux "Le rêve des filles". La voix est fragile, douce, lointaine et proche à la fois. Il n'y a plus ces effets vocaux trop nombreux qu'on pouvait regretter sur le premier album. Celui-là fait la part belle aux rêves et aux paroles. Nolwenn devient la servante des idées et des mélodies qu'elle véhicule. Elle se fond dans les notes, elle volète tout autour. "Me laisseront-ils / Dormir tranquille / Mes rêves de fille" se demande t-elle, pensive, au coin d'une fenêtre.
Le rhythme est mid-tempo, régulier, une vraie berceuse, une comptine. Nolwenn sautille sur ses amours et ses hobbies ("London fantasy"), ses regrets et ses espoirs ("Mélusine"), ou réfléchit au rôle qu'elle est censée jouer pour ceux qu'elle aime ("Endormie"). Pas tout à fait un voyage introspectif, c'est un plutôt un voyage à l'intérieur de la zone des sentiments, des joies, des peines et surtout des souvenirs. Le rôle de la mémoire semble omniprésent ; le mélange constant, sans frontière, ce brouillard entre le futur et le passé donnent un présent évanescent. Tout est possible, le monde alternatif de ces histoires presques surnaturelles devient réelle quand les doigts de Voulzy frappent les touches du piano. Cet univers parallèle, si commun à ces deux artistes, prend bien plus de dimension alors qu'ils sont réunis. Musique, poésie, rêve, peinture, imagination - tout ce qui contribue à l'art dans sa globalité est restranscrit, avec "cet air un peu dandy" qui caractérise si bien Nolwenn. Une vraie petite fée, gardée par les "ombres du passé", veillant sur elle de derrière son épaule a enfin trouvé sa bulle de mystère.
"Mystère", il en est bien question. Dans des univers plus difficiles à posséder, "Mélusine" et "J'aimais tant l'aimer", se cachent ce qu'il était moins évident à dessiner et deviner au départ. La recherche de la mélodie parfaite est atteinte sur ses chansons, avec une pureté de son réellement remarquable. Si nous sommes tous rentrés par la grande porte avec le fantasque et baroque "Nolwenn Ohwo !", les portes s'éloignent, se resserrent, deviennent étroites et prennent des formes étranges au fur et à mesure que l'album avance. Ce voyage au coeur de "Histoires Naturelles" ressemble à celui d'Alice au Pays des Merveilles : va t-on arriver à atteindre le but que nous nous sommes fixés ? Va t-on retrouver les personnages que nous aimons ? Mais surtout, où sommes-nous et que faisons-nous là ? Autant se laisser glisser dans le puits avec une certaine délectation, car Nolwenn nous emmène avec joie dans ce monde où le Chapelier Voulzy et le Cheshire Souchon mènent la danse. On ne voudrait jamais se réveiller.