"Bretonne" ! C'est ainsi que se présente Nolwenn Leroy dans son quatrième opus qui paraît cette semaine. Fière de ce projet qui murit dans un coin de sa tête depuis plusieurs années, elle présente une dizaine de titres issus de la culture celtique afin de rendre un hommage à la région de son enfance où résident ses plus beaux souvenirs : la Bretagne. Attachée à son enfance, Nolwenn s'est confiée à nous sur les motivations de ce projet et sur l'accueil mitigé de son prédécesseur : "Le Cheschire Cat & moi".
(Jonathan Hamard, journaliste)
En préparant notre rencontre, je me suis dit que je ne risquais pas d’erreurs d’interprétations des textes car plusieurs des titres sont enregistrés en breton et en gaélique. Ce sont des langues que tu maitrisais déjà ?
Nolwenn Leroy : Non. Sincèrement, pour le gaélique, j’ai travaillé de manière phonétique. C’est une langue extrêmement difficile. Il y a plusieurs façons de le parler selon les régions. C’est une langue ou tu peux avoir cinq consonnes à la suite et les prononcer en une seule syllabe. Ce n’est pas une langue que tu peux deviner, elle s’apprend vraiment. Autant pour le breton, je me suis mis au boulot en travaillant avec un bon coach. Je l’ai apprise assez aisément tandis que le gaélique ce fut un vrai effort.
C'est vrai que le breton est encore parlé. En quelque sorte, tu n'avais pas de droit à l'erreur
C'est vrai que je ne suis pas experte en breton. Il y a beaucoup de gens qui connaissent la langue mais qui ne la parlent pas, et c’est mon cas. J’avais quand même quelques bases, mais c’est avec cet album que je m’y suis officiellement mise.
C'est un projet sur lequel tu travaillais depuis longtemps qui s'inscrit dans la continuité des incursions celtiques que l’on a pu entendre sur tes précédents disques.
Oui. Cette idée me trottait dans la tête depuis quelques années. Je dirais même depuis mon premier album. J’en avais déjà parlé avec Laurent Voulzy lorsqu’il m’avait proposée "Suivre une étoile". D’ailleurs, il m’a proposée "Le Bagdad de Lann-Bihoue" pour "Bretonne". Je n’envisageais pas ce projet sans Laurent parce que c’est comme ça qu'il m’imaginait depuis mes débuts. Mais avant cela, j’avais besoin d’installer mon répertoire et de chanter mes propres chansons avant de pouvoir proposer un album comme celui-là. Je pense également qu'il fallait qu’il arrive à maturité pour que je sois prête à le présenter.
Tu parles de "Suivre une étoile", je parlerais volontiers de "Mystère"
Oui, tout à fait. Avec "Histoires Naturelles", on était déjà bien dans l’ambiance. Après, certains vont être étonnés de ce disque alors que, comme tu le dis toi-même, il y a déjà déjà plusieurs touches de culture celte sur mes anciens disques. Les gens qui me suivent depuis mes débuts ont entendu et vus mes clins d’œil à cette culture avec, par exemple, la harpe que l’on retrouve également sur mon dernier album "Le Cheschire Cat & moi". Il y a une belle continuité, même avec ce dernier disque. Ils ne sont pas tous deux antinomiques.
De surcroit, on peut aujourd'hui dire que chacun de tes albums se distingue par un son nouveau qui le caractérise
C’est vrai que chaque album reflète une période de ma vie. Comme pour certains peintres ou certains auteurs, j’apporte quelque chose de nouveau pour chacune de mes œuvres, ce quelque chose qui me caractérise à un moment donné. Je reste bien sûr Nolwenn sur chacun d’eux, mais je ne cherche pas à produire la même chose à chaque fois. C’est comme une déclinaison de mes pensées, de ma voix. Après, de là à qualifier un album par un son en particulier, je ne sais pas si c’est faisable mais je sais que ma carrière n’est pas linéaire. Je ne pense pas que c’est ce que cherche un artiste que de proposer la même œuvre de manière récurrente.
Ce son que tu as voulu produire pour "Bretonne", n’a-t-il pas fait peur au label ? Comment a-t-il réagi lorsque tu as évoqué ce projet ?
Écoute, la maison de disques a été enchantée par ce projet. Je crois que l’idée leur plaisait. L’idée de faire un album qui soit pop,dans l’air du temps, et qui intègre en même temps des instruments traditionnels celtiques comme la harpe, les a convaincus. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes réintègrent ces instruments pour introduire ces sons que j’aime et que l'on n'entendait plus. Je ne vais pas en faire une liste mais on a par exemple le groupe Florence And The Machine. En tout cas, j’aime cette idée de faire cohabiter sur un même album des chansons traditionnelles très connues en Bretagne et moins ailleurs, et d’autre part des chansons plus modernes qui évoquent ma Bretagne. Ce n’est pas un album de chansons bretonnes, c’est un disque qui évoque ma Bretagne. J’aime faire cohabiter tous ces morceaux. Et même les titres enregistrés en breton, qui auraient peut-être pu faire peur au label, n’ont pas posé problème. Aujourd’hui, on entend beaucoup de chansons en anglais et c’est peut-être dommage qu’on laisse tomber dans l’oubli ces patois, ces langues anciennes comme le corse ou le basque qui sont les dernières marques d’une culture qui disparaît. Je livre ici la bande son de mon pays natal. Je n’ai pas de meilleures manières de la définir.
Je pense quand même qu’il reste quand même un pari audacieux, surtout quand on pense que ton précédent disque "Le Cheschire Cat & moi" n’a pas été un franc succès. On peut même dire que la rencontre avec le public n’a pas vraiment eu lieu.
Mon problème, c’est juste mon histoire. C’est l’album dont je suis le plus fier jusqu’à présent. Je l’ai écrit. Du début jusqu’à la fin, j’ai eu les rênes en main. Le seul malheur qu’a eu cet album, c’est d’avoir eu mon nom sur la pochette. Pour la bonne et simple raison que tous les médias qui, avant, auraient relayé ce disque ont jugé qu’il était trop « spé » ou « indé ». Et tous les médias qui auraient pu en parler ont jugé qu’il était trop tôt pour moi de sortir ce genre de choses et pour eux d’en parler dans leur presse. Ils ont écouté le disque, en ont fait une bonne critique, mais n’ont rien relayé du tout. Du coup, j’étais comme on dit, entre deux chaises.
C’est vrai que tu affirmais un style qui a surpris les médias et même tes fans
Je l’affirme oui. Et pour le nouvel album aussi. J’espère que les gens reviendront sur "Le Cheschire Cat & moi" un jour. C’est vrai qu’il n’était pas radiophonique mais aujourd’hui, a-t-on vraiment envie de l’être ? Quand on est artiste, bien sûr qu’on a envie d’être diffusé en radio mais doit-on coller à un son à tout prix pour être reconnu ? Ce qui est sûr, c’est que je suis allée au bout de mes envies avec ce disque. Donc, il a peut-être été un échec commercial mais pour moi ce n'est pas un échec.
Relativisons quand même. La plupart des artistes français souffrent aujourd’hui
Oui, c’est vrai que c’est difficile pour tout le monde. Et justement, dans cette période difficile, je me disais que c’est peut-être le moment de faire ce qui me plaît. Le problème, c’est aussi les médias. Mon cas est représentatif. Avec mon précédent disque, je n’ai pas donné ce qu’on attendait de moi. Si une chanteuse anglaise était venue avec "Le Cheschire Cat & moi", on en aurait sûrement davantage parlé. Je ne suis pas frustrée de cet échec. Ce qui me frustre, c’est que je pensais qu’un album et la musique telle qu’elle était devenait en quelque sorte notre pièce d’identité. Mais ce n’est plus le cas. Ce qui prime aujourd’hui, c’est la communication : c’est ce que tu dis que tu fais, ce que tu dis que tu es, et d’en parler partout. Et la preuve, c’est que mon album précédent ne correspondait pas à l’image que j’avais pu apporter auparavant. A ce moment là, je ne suis plus relayée puisque j’évolue. C’est ça qui est frustrant. Et ça l’est d’autant plus car je m'étais pleinement investie dans le travail de production.
suite